Open data et trajectoires : l’avenir des catalogues de formations.

Millionroads
12 min readSep 16, 2020

Par Benoit Bonte — Co-fondateur et CEO-Millionroads

L’actualité liée à la crise sanitaire met en lumière de manière criante la nécessité de redéfinir les rôles de chacun en matière d’orientation. Dans ce contexte particulièrement troublé, où la période de confinement a été néfaste pour de nombreux jeunes en situation d’échec ou de décrochage scolaire, il est essentiel de saluer et de soutenir les mesures prises par les pouvoirs publics en matière d’orientation et de formation. La mise en place de l’obligation de formation pour les 16–18 ans par exemple, est à la fois un signal fort que nous accueillons favorablement dans la lutte contre le décrochage, mais aussi une mesure qui pose une vraie question en matière de moyens et d’organisation. Quels sont-ils aujourd’hui ? Et comment répondre à cette impérieuse demande d’accompagnement ? Si les catalogues de formation étaient jusque là cantonnés à une restitution simpliste des formations existantes, ils semblent aujourd’hui vouloir transformer leur échelle de valeur pour endosser un rôle plus actif en matière d’aide à l’orientation. Mais ce choix implique de posséder une expertise particulière. Il est évident que réaliser un catalogue de formations et développer des outils digitaux d’aide à l’orientation sont deux métiers distincts qui font appel à des savoir-faire et des compétences très différents. Permettre à chaque individu de trouver sa voie nécessite aujourd’hui de savoir exploiter la data et les trajectoires pour leur offrir de vrais choix d’orientation : des choix éclairés, contextualisés et parfaitement cartographiés.

L’apprenant face au catalogue de formation

L’embarras plus que le choix

Chaque année, des centaines de milliers de lycéens, d’étudiants et leurs parents doivent faire des choix déterminants pour leur avenir avec la campagne Parcoursup. Et depuis le lancement de l’application “Mon Compte Formation”, ce sont des millions d’actifs qui peuvent également accéder à des milliers de formations depuis leur smartphone. Tous ces individus, quelle que soit leur situation, se retrouvent donc à devoir faire un choix décisif pour leur vie professionnelle en ayant pour support une simple liste de formations.

Mais celle-ci est-elle suffisamment complète pour apporter à l’apprenant toutes les informations dont il a besoin pour faire son choix ? Quel est le programme enseigné, quelles sont les passerelles possibles ? Quels débouchés peuvent-il en attendre ? Au moment d’appuyer sur le bouton, l’individu se retrouve seul avec lui-même : fait-il son choix en connaissance de cause, c’est à dire en connaissant l’ensemble des autres choix possibles ? Lorsque ces pistes se comptent en dizaine de milliers, et quand bien même il aurait parcouru cette liste en entier, l’individu risque de se retrouver « qu’avec l’embarras et sans le choix » comme le disait Coluche dans Gugusse.

Faute d’outils permettant de naviguer dans le catalogue, de saisir les potentialités en se projetant dans un futur possible, force est de constater que l’individu fait la plupart du temps un choix par défaut, ou bien il préfère opter pour les « autoroutes » rassurantes. Si les catalogues de formation constituent un moyen de rassembler sur un même support l’existant en matière de formation, ils contiennent en creux, dans leur utilisation, des pièges qui empêchent de pouvoir choisir sereinement son avenir.

Les pièges

Le premier piège est la logique interne du catalogue. En effet, la terminologie qu’il emploie ne correspond pas toujours au « langage naturel », c’est à dire aux termes qu’emploient les diplômés pour décrire leur formation. Qu’est-ce qui se cache derrière un intitulé de formation ? Comment s’assurer que la recherche est effectuée avec le bon terme et que l’apprenant ne passe pas à côté de résultats approchants qui pourraient l’intéresser ? On se rend alors compte que le langage courant déborde du cadre des référentiels. Il est assez commun, par exemple, de mettre dans son parcours une licence Français Langue Étrangère (FLE) alors que celle-ci n’existe pas en tant que telle. Il existe un « parcours FLE » de 120 heures qui complète l’une des trois licences suivantes : Lettres Modernes, Sciences du Langage ou Langues Vivantes.

Deuxième piège, connaître les parcours possibles pour obtenir un diplôme précis. En faisant une recherche des formations existantes pour devenir ingénieur, par exemple, le lycéen se retrouve confronté à une liste de tous les diplômes d’ingénieur existants. Une liste qui fait abstraction de tout le reste ! Il y a bien sûr les concours, les prépas mais également les admissions parallèles, sans parler des Cursus Master en Ingénierie. Il serait alors pertinent de mettre au même niveau des L1, des prépas et des écoles d’ingénieur, c’est-à-dire tous les choix possibles pour obtenir un diplôme d’ingénieur. Et c’est ici que la représentation sous forme de carte prend son sens. Elle permet en effet de se représenter les cursus en un clin d’œil et d’en visualiser les différentes étapes. Savoir que de nombreux ingénieurs ne passent pas automatiquement par la prépa, et qu’ils exercent des métiers qui l’intéresse, peut aider le lycéen à choisir en conscience un « itinéraire bis ». Le choix d’une formation est intégré dans un projet à moyen ou long terme, il est le résultat d’une réflexion basée sur de nombreux paramètres et des affinités personnelles. Les catalogues de formations ont vocation à restituer des données brutes, sous forme de listes verrouillées, peu engageantes et qui, prises seules, n’apportent rien de plus aux individus en quête d’orientation.

Dernier piège, le catalogue n’offre aucune représentation des parcours de formation. Sa vision partiale ne lui permet pas de sortir de son périmètre initial qui peut être par exemple l’alternance, les études supérieures ou encore la formation continue. Il n’est donc pas en mesure de proposer une vision exhaustive et comparée des possibles. Quand bien même le catalogue le voudrait-il, il est aujourd’hui impossible de représenter toute la complexité des parcours de licence sans faire appel aux trajectoires. Les parcours de licence sont constitués d’étapes : L1, L2 et L3. Chaque licence peut être accessible via plusieurs parcours L1-L2, des licences portail ou même des admissions parallèles (DUT, BTS notamment). Prenons l’exemple d’un lycéen qui souhaite être diplômé d’une licence 3 de tourisme. Lors de la formulation de ses vœux sur Parcoursup, le catalogue lui proposera l’une des six L1 qui contiennent le mot-clé « tourisme » dans leur intitulé. Il n’a absolument aucun moyen de savoir à ce moment précis qu’il existe en réalité de nombreux parcours qui permettent d’obtenir une Licence 3 Tourisme, sans passer obligatoirement par une Licence 1 Tourisme. C’est le cas par exemple du parcours L1-L2 Sciences Humaines. Lorsque le catalogue est associé aux trajectoires, il permet à chaque individu de se saisir de toute la richesse des informations disponibles.

La puissance de la trajectoire

La mise en perspective

En intégrant les trajectoires comme outil de navigation pour l’aide à l’orientation, on apporterait non seulement de la visibilité aux données disponibles, mais également une réelle mise en perspective. C’est-à-dire que l’on transformerait la donnée brute en information doublée d’un discours de preuve. L’apprenant disposerait alors dans sa recherche, d’un outil compagnon permettant d’identifier simplement les solutions qu’il peut mobiliser et les structures qui peuvent l’accompagner. Il serait capable de se projeter au travers de trajectoires réelles et incarnées de reprise d’études, d’entrée en formation, de premier emploi ou bien encore d’engagement associatif.

Le travail de développement d’un nouveau type de GPS Millionroads a la volonté d’intégrer ces notions de trajectoire et d’horizon. Cela permettra aux apprenants de choisir en comprenant la logique de la poursuite d’études et les débouchés qui y sont associés. Les trajectoires qui seront formulées à terme seront issues de l’analyse des parcours réels et constitueront un véritable discours de preuve. Elles informeront concrètement sur le choix des étudiants et leurs conséquences. En d’autres termes, elles auront pour finalité de vulgariser et de simplifier le contenu du catalogue par l’intermédiaire de simulations visuelles explicites et le rendront plus riche en s’appuyant sur des sources d’informations complémentaires. Au moment de choisir sa Licence 1, un étudiant, quel qu’il soit, sera capable de vérifier les Licences 3 auxquelles celle-ci donne accès. Il bénéficiera d’une meilleure compréhension du choix qu’il est en train de faire et de tout ce qu’il implique pour son orientation et son avenir professionnel.

Datavisualisation : les avantages de la carte routière

L’arrivée dans le supérieur, on l’a vu, implique de faire un vrai choix, un choix stratège qui nécessite de pouvoir baser son analyse sur les trajectoires existantes. Choisir sa Licence 1 sereinement nécessite donc d’appréhender la complexité des parcours de Licence, de se représenter les différences d’orientation et leurs implications en terme de débouchés professionnels.

La datavisualisation est un puissant outil de reporting qui permet justement de représenter de façon simple et pédagogique des données ou des ensembles de données complexes. Elle prend des formes différentes (courbes, barres, points, cartographies, etc) et offre à l’utilisateur un niveau de compréhension plus important, tout en lui faisant gagner du temps dans sa recherche et son analyse. Associée au calcul d’itinéraire, la datavisualisation permettrait de donner naissance aux trajectoires et de visualiser les itinéraires possibles, à la manière de Google Maps, de prendre de la hauteur et d’être capable de comparer activement les différents parcours existants.

Créer une géographie pour décrire une réalité complexe

Exactement de la même façon qu’une carte routière, la géographie offre une meilleure visualisation pour l’utilisateur. Elle simplifie une réalité complexe et l’aide à se projeter grâce à un processus de représentation simplifié qui met en exergue les spécificités des parcours.

En recréant l’environnement qui correspond à un choix de formation, elle ferait apparaître les trajectoires possibles et les données complémentaires à ces trajectoires. Celles-ci peuvent prendre la forme de pictos, de visuels, et servir d’indicateurs de navigation aux étudiants au moment de leur orientation, mais aussi aux diplômés qui ne travaillent pas dans leur domaine de formation par exemple, ou même encore à ceux ayant des parcours atypiques.

Bénéficier d’un espace cartographié permettrait également de comparer sur un plan visuel les différentes voies d’accès vers un métier, une formation. Ces voies d’accès sont autant de routes possibles pour l’utilisateur qui bénéficie d’une hiérarchisation de l’information, de la plus synthétique à la plus fournie. En un clin d’œil, l’utilisateur sait quels parcours lui donnent la possibilité de faire des stages en entreprise ou des séjours à l’étranger par exemple.

La ligne d’horizon est également une composante importante de la géographie. Elle est déterminante pour représenter de façon claire les débouchés associés à chacune des routes possibles. En la mettant au service de l’utilisateur, celui-ci serait tout à fait capable d’établir un lien direct entre sa formation et son futur métier.

Visibilité et prise de risque : feuille de route et comparaison

En explorant des itinéraires à la manière d’une carte géographique, l’utilisateur pourra alors générer des feuilles de route qui lui permettront de mieux communiquer sur ses choix, ses vœux (Parcoursup par exemple), mais également de les comparer : nombre d’années d’études, coût, alternance, stage, études à l’étranger, métiers et entreprises fréquentées en premier emploi… Cette comparaison prend tout son sens lorsqu’elle mobilise les données réelles.

L’utilisateur bénéficiera donc d’une plus grande visibilité pour faire des choix éclairés (et non plus par défaut !), en réduisant significativement sa prise de risque. Aujourd’hui, son orientation repose le plus souvent sur ses propres connaissances, parfois insuffisantes ou arbitraires, l’influence de ses parents, de son milieu social ou encore sur sa volonté à s’attribuer le choix des autres, pour plus de sécurité. Il se trouve que l’école Telecom Paris, École nationale supérieure des télécommunications et du numérique, a pu le constater récemment : au moment de choisir la spécialité de leur diplôme, les élèves reproduisent les mêmes choix que ceux des élèves des années précédentes, et cela par sécurité.

Grâce à cet outil cartographique avec discours de preuve, il sera désormais possible pour tous les étudiants, quel que soit leur milieu social, d’imaginer une trajectoire plus personnelle et plus en phase avec leurs aspirations profondes. Il leur donnera l’occasion de devenir acteurs de leur propre orientation en détournant les itinéraires dits en “prêt à porter” pour se créer un parcours sur mesure, en évaluant leurs chances de réussite, à l’aune des parcours réalisés par ceux qui les ont précédés.

Vers une standardisation des outils : interopérabilité et norme des catalogues de formation

La nécessaire interopérabilité des catalogues avec les outils d’orientation

Les éditeurs de catalogues de formations et les concepteurs d’outils d’aide à l’orientation ont des rôles certes distincts mais complémentaires. Ensemble, ils constituent un puissant moyen de renforcer l’aide individuelle apportée à chaque étudiant. Alors pourquoi cette tendance des catalogues à vouloir endosser, en plus de leur rôle initial, un rôle de conseil et d’orientation ? En cumulant ces deux casquettes, les éditeurs de catalogue ne risquent-ils pas finalement de mal faire les deux métiers ? Si éditer un catalogue de formation n’est pas la même chose que concevoir des outils numériques d’aide à la décision, cela reste toutefois un métier de référence. Un métier qui, pour jouer pleinement son rôle et servir toujours mieux les étudiants, doit d’abord concentrer ses efforts sur l’interopérabilité de son support. Le rendre facilement accessible, lisible et compréhensible. En conjuguant leurs forces respectives, éditeurs et concepteurs permettraient la création d’une alchimie naturelle entre le catalogue et les trajectoires avec un bénéfice immédiat pour l’utilisateur. Un étudiant pourrait très simplement, à partir de la formulation de ses vœux, bénéficier d’une simulation de son parcours par exemple, ou bien partir d’une idée de master et obtenir des informations sur les licences qui y mènent.

Lhéo, le langage harmonisé qui met tout le monde d’accord

Lhéo est, selon le ministère du Travail, un langage de référence de description de l’offre de formation. Il s’agit d’un référentiel commun qui permet à tous les acteurs publics et privés, chargés d’informer sur les formations, de parler un langage identique relatif aux descriptions des offres. Ils peuvent ainsi lire, diffuser, décrire et classer selon un même standard les offres de formation disponibles sur les territoires. Lhéo est utilisé par l’État et les régions, les financeurs, les opérateurs nationaux et régionaux, la caisse des dépôts et consignations dans le cadre de la mise en œuvre du compte personnel de formation (CPF) ou encore les organismes de formation, et pour tout ce qui à trait aux offres d’alternance, de formation continue ou de formation initiale.

Cet outil de standardisation marque clairement un premier pas vers plus d’interopérabilité. Il facilite non seulement la diffusion de l’offre de formation et, par extension, la recherche des utilisateurs en fournissant des offres lisibles et comparables, mais il optimise également la mise en œuvre dans les systèmes d’informations. En adoptant ce langage harmonisé, les catalogues de formation pourront s’intégrer facilement aux outils d’aide à la décision. Le GPS Millionroads pourrait ainsi être facilement actualisé en quasi temps réel.

Vers une standardisation des interfaces

Historiquement, il a existé, et il existe toujours, un grand nombre de catalogues différents pour chaque périmètre, chaque région, chaque organisme de formation. Si bien que l’utilisateur se trouve confronté à une duplication des outils qui ne permet pas d’obtenir une information exhaustive. Cette dispersion des forces (et des budgets) dessert fortement le niveau de performance de ces outils et leur capacité à accompagner la décision de l’utilisateur. Cela implique pour lui de partir à la pêche aux infos pour tenter d’enrichir sa vision de l’existant. Grâce à l’émergence du langage universel Lhéo, on pourrait bénéficier d’un nombre d’outils plus restreint qui répondent à la quasi-totalité des problématiques. Dans la lignée de ce que préconise Guillaume Houzel, Inspecteur général de l’éducation, des sports et de la recherche, il est indispensable aujourd’hui de mettre en place une vision stratégique nationale qui serve de façon directe et complète les besoins de formation et d’apprentissage de la jeunesse, des diplômés et des actifs.

L’interopérabilité des catalogues est aujourd’hui une direction nécessaire que les éditeurs doivent prendre en compte pour participer à cet effort collectif d’aide à l’orientation. Grâce à l’open data, il deviendrait extrêmement simple d’intégrer les catalogues aux outils numériques d’aide à la décision, de renforcer l’accompagnement des apprenants, ou encore de proposer aux professionnels de la formation un outil fédérateur permettant de voir incarné avec simplicité la richesse des écosystèmes locaux. Tous bénéficieraient d’informations intégrales, lisibles et comparables avec la possibilité de simuler, d’anticiper et d’accompagner plus sereinement sur la voie de l’apprentissage. Avant de devenir des spécialistes de l’expérience utilisateur et des experts de l’orientation les catalogues doivent garantir l’interopérabilité et la publication toujours actualisée de leurs référentiels. Leur rôle reste profondément ancré dans la restitution et le partage d’informations qui, associées aux données réelles et aux trajectoires des outils numériques, permettraient d’atteindre un niveau de réponse supérieur et plus adapté aux besoins des publics en recherche de formation, en vue d’une insertion ou d’une évolution professionnelle.

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